II marcha rapidement dans la chaleur. Ses pensées s'entremêlaient : les rendez-vous, les soucis professionnels à régler...

Et puis décidément il n'arrivait pas à s'enlever de la tête qu'il avait été mauvais. Un sentiment que quelque chose lui avait échappé. Il était contrarié de se dire qu'il devrait être lassé de ces journées professionnelles où les interventions musclées envers un « cas social » se succédaient.

La bouche du métro se présentait maintenant : Vite, s'engouffrer dans la chaleur. Une fois le "tube" passé, dans quelques minutes il prendrait son train, de retour à Lyon, peut-être à dormir avec la satisfaction d'oublier ce dernier conflit.

Déjà deux ou trois stations défilaient au rythme des sonneries annonçant la fermeture des portes du métro. A l'Etoile, au bruit sec d'une nouvelle ouverture, une volée de nones entra. Les gens, habitués aux mendiants haranguant les voyageurs, avaient là une curiosité. Elles étaient sept en fait.

La volée bleue pris ses marques par groupe de deux suivis des regards. L'une d'elles osa s'échapper. Emportée dans son élan et le ralentissement brusque de la rame, elle se retrouva presque assise sur un voyageur. Prise par les lois peu divines de la physique, elle lâcha un gloussement qui alerta la compagnie. Soulagée par le sourire commun qu'elle avait provoqué, elle se redressa dans un long rire d'adolescente contente d'avoir fait une farce. Deux de ses soeurs, serrée l'une contre l'autre, replongèrent leur regard dans une revue catholique à la composition austère, en échangeant des commentaires à voix basses, pointés de sourires. L'incident était clos.

Deux autres étaient debout près des portes. Elles avaient dû être prises à partie dans une conversation par une femme mi-cloche, mi-foldingue comme on en trouve dans les grandes villes. Dans le bruit du déplacement des wagons, il ne percevait pas bien les paroles, seulement quelques mots ou bribes de phrases : "secte ... malheur ... elle est en danger".

Les deux dernières, sages, étaient assises les mains bien à plat sur les genoux. Elles portaient le même sourire, léger, de ces femmes d'églises qui avaient trouvé le bonheur avec dieu. Pour lui bien sûr ces deux dernières figures étaient une énigme, ce sourire d'icônes ne pouvait être qu'un placebo ; comment le bonheur pouvait-il tomber du ciel ?

Il s'en persuada en continuant à suivre le reste de la compagnie du regard, dans leur uniforme d'une toile délavée bleue, avec leur bas d'une couleur chair triste, baillant. Leurs chaussures, toutes noires, étaient différentes mais sans la moindre coquetterie. Même leur âge avancé semblait commun.

Puis il se rappela cette rencontre pénible, faite de non-dits, de reproches à peine voilés ; et puis la constante de ce qui allait se passer, probablement avec violence. Ce n'était pas la première fois. Il lui faudrait trier, comprendre et accepter l’empreinte d’un quotidien bien souvent sur le fil du rasoir.

Entre temps, dans un autre claquement de porte, la volée bleue avait disparu.