Ce samedi commençait bien. Soleil et 30 degrés prévus pour l'après midi, sans compter que nous devions laisser nos enfants pour un anniversaire chez des amis. L'opération de délestage terminée, nous voilà, chacun notre carte VéloV à la main, devant un de ces nouveaux totems pour lesquels chaque lyonnais se sent plein d'une sainte dévotion : La borne VéloV. Sans que nous le sachions à ce moment, se mettait en place la tragique épopée…
Un rapide tour des différents vélos présents s'impose. On nous avait prévenu, principe des gens avertis, on n’allait pas se faire avoir : Vite, un regard pour éviter quelques déboires. Les 5 ou 6 cycles présents sont tous Ok : Inspection visuelle de l'ensemble, pression du doigt sur les pneus, etc. Nous nous attaquons maintenant à l'enregistrement pour la prise des Précieux. Là, commence la fracture "Vélovique". Il y a ceux qui savent et les autres. Timides, nous cafouillons déjà devant les touches à toucher, les réponses à donner, les validations à valider ou à annuler... Heureusement, il y a toujours foule autour d'une borne VéloV. Les injonctions dirigistes des impatients pleuvent déjà. Bref nous finissons par retirer deux engins.
Les premières impressions ne sont pas si mauvaises que ça. On commence par l'avenue Lacassagne en sens inverse, simples frayeurs, de quoi se mettre en jambes. Il faut dire aussi que ma compagne a tiré un grand braquet, moi le genre où il faut mouliner pour avancer; l'avenue Lacassagne me semble déjà longue... Je cherche le changement de vitesse, j'inspecte discrètement en roulant et reste perplexe. Où ? 500 mètres déjà parcourus à pleine vitesse, au moins du 10 Kms/heure, et déjà des drôles de sensations dans les mollets. Non ce n'est pas les mollets, les vibrations viennent d'ailleurs, de plus loin. Je ne sais pas si vous avez connu cette sensation : Roulant à bicyclette, à contre sens d'une des plus grande avenue de la 2ème ville de France (3ème si vous êtes Marseillais), vous essayez de regarder la roue arrière au niveau du sol, vous sentez des vibrations se prolonger le long de vôtre dorsale ; ceci d'autant plus que maintenant vous en êtes sûr: Vous avez crevé!
Ne lâchons pas prise, me dis-je. Je sais prendre des décisions. La traversée des carrefours qui s'annoncent, la borne VéloV à trouver pour larguer ce foutu engin qui commence à me gonfler les pattes, rien ne m'arrêtera. De toute façon, ma compagne file bon train, elle. Piteux, nous finissons par en trouver une de borne. Je largue le biniou. Il m'en faut un autre maintenant. Uniquement cinq vélos dans les rails de pose, forcément je sens que cela va créer de l'instinct chez les quelques amateurs présents, tous en quête d’un Précieux. On sent de la tension. La machine informatique semble récalcitrante. Je l'essaie à mon tour. Elle m'indique invariablement de reposer mon vélo. Je lâche un "Putain ! Je l'ai déjà rangé ton vélo !". Vous me pardonnerez, mais parfois il faut savoir se faire respecter des machines. Je continue à naviguer maintenant entre la borne, à refaire mon code, et mon ancien vélo décidément bien rangé. Le reste de la file d'attente, précautionneusement, me prévient que cela arrive parfois. Il faut attendre au moins une minute. Tu parles, en voilà déjà 5 à 10 que j'attends. Entre temps, un pépère arrive et pose son engin. Efficace et sûr de lui, il resquille une place dans la file, à la française, pressé de la volonté d'en récupérer un autre. Il réussit son coup, manifestement. Ce n’est pas possible, il y a un dieu pour les porteurs d'incivilités, me dis-je?! Non, je croise les doigts. Ca marche, il a choisi et part avec mon vélo crevé. Grande rigolade assurée quand je le vois tituber, descendre de vélo, toucher la roue, remontant sur sa machine pour réessayer. On ne sait jamais...
Le temps coule maintenant. Deux demoiselles essaient de retirer aussi des vélos. Je me rassure, cela ne marche pas mieux. Je ne suis donc pas la seule victime Une femme essaie maintenant de retirer une carte VéloV. Une fois, deux fois, et un appel de portable plus tard au centre téléphonique divin, on lui apprend que la borne a des soucis techniques, qu'un technicien doit passer, etc. et bla-bla. Là, je fais une pause didactique dans ce qui devient de l'épique. Une respiration s'impose. Sachez qu'en cas de malheur vous pouvez téléphoner à un centre d'appel qui vous aidera certainement. N'oubliez pas votre portable. Et gardez bien à l'esprit que ce numéro d'appel vous devez l'avoir en possession... Et oui, il n'est pas sur votre carte VéloV. Bon, je pourrais vous le donner maintenant ?! Bof, de toute façon on peut parier qu'il ne vous servira à rien.
Continuons le périple. Entre temps, le vélo de ma compagne a commencé à sonner doucement histoire de la prévenir que la demi-heure d'utilisation allait se terminer. Un vélo qui sonne tout seul : Quel est le dément qui a pu inventer un truc pareil ? Par le plus grand des miracles, elle arrive à le poser et en reprendre un. Inspiration toute féminine sans doute. Avec deux autres utilisatrices, aussi malchanceuses que moi, nous décidons de tenter notre avenir à une autre borne. A trois ou quatre cents mètres de là, il y en a une parait-il. Voilà la petite troupe en chemin. A côté de nous, ma compagne avec l'unique, le Précieux, le gentil nouveau vélo. Enfin, pas tant que ça... Il se met à sonner lui aussi maintenant, genre sirène hurlante par contre. Dans la rue tout le monde rigole : Pas facile dans ces conditions de contribuer à un « pédalé discret ». Elle a beau se dire : « Mais je viens juste de le prendre, comment cela est-il possible ? » Plusieurs théories seront alors évoquées. Pour la simplicité de cette histoire, nous les passerons sous silence.
Nous voilà arrivés maintenant à la nouvelle borne, bien là comme prévu. Des vélos apparemment disponibles. Vous l'avez compris, fin lecteur que vous êtes, que les ennuis ne sont pas finis ?! Et oui, des vélos bien visibles, en parfait état de marche, la félicité devrait pleuvoir sur nous ! Au lieu de ça, c’est un "aucun vélo" laconique que la machine à Précieux s’obstine à afficher. Maintenant je commence en avoir marre. Nous décidons ma compagne et moi de faire chemin séparé. Elle avec le VéloV qui a décidé de ne plus hurler et moi en métro. Nous nous rejoindrons à Bellecour devant Flammarion.
Marcher à la rencontre du métro, quelle liberté devrais-je me dire ! Un petit ticket à acheter, et hop, le tour est joué ! Pas pour longtemps. Pour mieux enfourcher ces horribles bécanes, j’avais confié aux bons soins de ma compagne, lestée de son sac, mes papiers et mon porte-monnaie. Passé le temps des invectives familiales qui se doivent (vous en conviendrez, ce n’était pas à moi de penser à les reprendre ces foutus papiers), je me résous à la longue marche : De place Voltaire à Bellecour en plein soleil et chaussures de ville. Mal aux pieds. La rencontre, une fois la traversée du désert effectuée, est des plus maussades. Nous décidons de réessayer notre chance. La borne VéloV près de Flammarion affiche 3 vélos disponibles. Il y en a pourtant une dizaine de présents. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a quatre pékins dans la file d’attente, mais nous à la queue…
Bah, la rue de la république, vaste et pleine de nos contemporains, s’annonce déjà pour une bonne promenade estivale. Nous en profitons pour boire un coup bien mérité à la terrasse du bar américain. Et puis maintenant nous savons que le cauchemar est terminé, le serveur nous présente une note de 7,80 euros pour un Perrier et un Gini. Là pas de doute, nous sommes revenus sur terre. Les compteurs de la poisse sont remis à zéro. Désaltérés et reposés, ma compagne décide que tout cela ne représente que quelques péripéties (surtout pour elle) et que nous pouvons repartir à la maison. En VéloV bien sûr. Une borne plus loin : Un seul vélo, avec une seule pédale. L’autre étant dans le panier de la roue avant, vous en conviendrez ce n’est pas aisé pour pédaler. Deux bornes plus loin : Un seul Précieux de disponible, malgré les quatre ou cinq présents. Ma compagne décide de le prendre. Question maintenant de solidarité toute féminine sans doute. Trois bornes plus loin : Une dizaine de vélos et une queue de quatre personnes. Le gars devant moi n’a pas de chance. Il choisit dans la liste le numéro d’un engin réfractaire jusqu’au bout de la roue à la sortie de son rail. A mon tour: Je prends garde de ne pas choisir le même numéro. Puis, une fois la machine m’indiquant de sortir le Précieux de son rangement, je fonce. Ô rage Ô désespoir, lui non plus ne veut pas sortir. Une fois de plus je passe les envolées lyriques qui me sortent de la bouche dans un dernier arc-réflexe.
Là, s’en est trop ! C’est le temps des conclusions. J’abandonne définitivement. Je veux sortir du cauchemar. Je me décide à rentrer en métro, laissant ma compagne assise sur ses propres risques Véloviques. N’avez-vous jamais connu les plaisirs du métro ? Les rames s’enchaînant, la température clémente, on y trouve même du plaisir à regarder la faune présente des gens tristes. Oui, décidément, il y a des moments de bonheur dans la vie citadine.